Sébastien Delacour réprima avec grand-peine un frisson tandis qu'il plongeait son regard dans les yeux glacials et durs de son invité. Il n'y avait pas la moindre once d'émotion dans ces orbes émeraudes; ni amour, ni même haine. Absolument rien. Et pour un homme qui s'enorgueillissait de son habilité à savoir déchiffrer les masques les plus inexpressifs, c'était certes là un fait des plus déconcertants. Le Ministre de la Magie Français s'humecta les lèvres avant de prendre la parole.
« Je suppose que vous connaissez déjà la raison pour laquelle je vous ai fait appeler dans mon bureau ? »
L'homme – non, le garçon, cligna des yeux à son endroit et son regard vide se focalisa sur lui. A Son plus grand dam, Sébastien se surprit à détourner son regard de celui, impassible de son interlocuteur. C'était comme contempler un vide sidéral aux températures glaciales propres à drainer toute la pièce de sa chaleur. Puis le garçon hocha la tête, et le Ministre relâcha un souffle qu'il ne se souvenait pas avoir retenu.
« Cela ne fait que quelques mois depuis mon investiture au Ministère de la Magie. » poursuivit Sébastien en subodorant que le silence de son invité était une exhortation à continuer, « et je me retrouve déjà calomnié par les ultra-conservateurs au sein même de mon parti. Je suis marié à une Vélane, voyez-vous, et les puristes du sang de notre gouvernement n'ont pas manqué de littéralement crier au scandale face à cet état de fait. Ils considèrent ma femme comme un hybride, pas même une humaine. Ainsi, voir un ministre élu au gouvernement dont l'une des principales motivations est de défendre les droits de son espèce leur est tout bonnement inacceptable. Ils ne peuvent pas me faire le moindre mal sur un plan politique, car les rumeurs lancées ne se résument qu'à cela. De simples rumeurs. Et fort heureusement, la population ne partage nullement ces points de vue bigots. Mais je crains pour ma famille. »
« Et c'est là que j'entre en jeu. » commenta le garçon. Cette fois-ci, Sébastien ne put réprimer son frisson. La voix était en tout point semblable au visage de son propriétaire, sans tonalité et dénuée de la moindre émotion.
« En effet. Je serai franc avec vous. Si Poudlard n'accueillait pas le Tournoi des Trois Sorciers, un évènement auquel ma fille ainée désire ardemment participer, vos services ne seraient pas requis. Je dispose d'une protection plus que suffisante ici en France, mais cette protection s'en trouverait fortement limitée si elle devait se rendre en Angleterre. »
« Il vous suffit simplement de convaincre votre fille de ne pas y aller. »
Sébastien eut un faible sourire à la suggestion de son invité.
« Mon ainée a hérité de l'opiniâtreté de sa mère, à un degré presque exact je dois dire, et j'ai bien peur que toute allusion que je serais amené à faire en ce sens ne soit accueillie avec…humeur. »
A cela, le garçon se borna à hausser les épaules et le silence reprit droit de cité.
« Oui, eh bien, » poursuivit Sébastien d'un air mal à l'aise, « J'ai pris connaissance de vos références, et je dois admettre que je suis impressionné. Mais je me trouve quelque peu curieux de savoir comment un sorcier de votre âge a pu être en mesure de stopper des criminels notoires connus pour leur emploi prodigue de la Magie Noire. »
« J'étais meilleur qu'eux. »
Sébastien laissa la phrase du garçon courir, espérant une explication plus fournie, mais il en fut bien vite pour ses frais. Le garçon se contenta de le regarder dans les yeux de son regard glacial, et le Ministre réalisa que ces quelques mots constituaient la seule forme d'explication qu'il allait être en droit d'obtenir.
« Je vois. » Sébastien marqua une pause avant d'en arriver à ce qu'il espérait être la dernière partie de la négociation. « Vous comprenez donc la situation délicate dans laquelle je me trouve. Je me suis toujours enorgueilli d'être un homme à même de protéger sa famille, cependant compte tenu des ressources que les puristes de sang ont à leur disposition, je crains pour la sécurité de ma fille en dehors des frontières de la France. »
« L'Angleterre possède aussi ses propres puristes de sang. » lui répondit la voix atone. « J'ai eu affaire à eux par le passé. »
« Et vous avez sans nul doute été témoin de la violence dont ils sont capables lorsqu'ils laissent libre cours à leur bigoterie. »
Un autre hochement de tête.
« J'ai dans l'espoir, » déclara Sébastien en choisissant avec grand soin ses mots, « que nous puissions parvenir à un accord, un contrat si vous voulez, afin que vous assuriez la protection de ma fille durant son séjour à Poudlard jusqu'à son retour. Bien entendu, vous serez récompensé de vos efforts par un paiement substantiel en provenance de mes propres comptes. »
« Qu'en est-il de la société ? » Le Ministre ne put s'empêcher de s'émerveiller de l'intelligence du garçon. « Ne vous blâmeront-ils pas pour votre choix de garde du corps ? Ils sont connus pour être d'humeur changeante après tout. »
« Je serais plus qu'heureux d'endurer les récriminations de l'opinion publique si cela signifie d'assurer la sécurité de ma famille. »
« Alors vous êtes un meilleur père que bien d'autres. » Une marque de respect, la première depuis que la conversation avait commencé, et Sébastien se prit à espérer de pouvoir arriver à un accord.
« Cependant, » la voix du garçon avait pris le ton sec de quelqu'un traitant affaires. « Je dois vous apposer une certaine condition avant que je ne décide d'accepter le contrat. »
« L'argent que je peux vous donner au moment de l'acceptation-»
Son invité leva une main pour le stopper. Sébastien se trouva offusqué par l'impudence du garçon tout en respectant en même temps son courage. Il était le Ministre de la Magie de la France, avec le pouvoir de toute une communauté magique au bout de ses doigts, et le garçon était en train de lui parler comme s'il était son égal. Sébastien se permit un sourire intérieur. Si quelqu'un d'autre lui avait parlé de cette manière, sorcier ou pas, il aurait mis cela sur le compte de l'arrogance. Mais dans ce cas-ci, l'attitude du garçon n'irradiait non pas de supériorité, mais plutôt de confiance. Comme si rien au monde ne pouvait l'arrêter. Une qualité digne d'admiration en effet.
« L'argent n'est pas un problème. J'accepterai le paiement lorsque ma tâche sera accomplie à la satisfaction de mon contractant. Ce que je requiers de vous, Monsieur le Ministre, est une promesse. »
Sébastien déglutit difficilement.
« Quel genre de promesse ? »
Pour la première fois, le garçon sourit; un sourire glacial et cruel qui n'atteignait pas ses yeux.
« La promesse de me laisser user de tout ce qui sera nécessaire pour détruire ceux qui tenteront d'attenter à l'honneur de votre fille. »